10-17 octobre 2023

Programmation

Invité Spécial / Kleber Mendonça Filho

Kleber Mendonça Filho, le voisinage hanté

« Parfois les gens me demandent si ce qu’on voit dans le film est le travail d’un décorateur. Non, ce ne sont pas des décors. Ou alors, selon la situation, il m’arrivait de mentir. « Oui, bien sûr que c’est un décorateur.» Et la personne me regardait impressionnée. »

Ce propos de Kleber Mendonça Filho, glissé dans son dernier documentaire Portraits Fantômes, cerne bien ce qui fait la singularité de son cinéma : une richesse scénographique située à la lisière du réel et de l’imaginaire. Ce cinéma-là aime à explorer les lieux : le propre appartement du cinéaste des Bruits de Recife, l’immeuble éponyme d’Aquarius, à nouveau l’appartement familial (qu’on s’apprête désormais à quitter), les salles de cinéma et cabines de projection de Portraits Fantômes. Tous situés dans un périmètre familier - là où a grandi le cinéaste - mais il n’est pas besoin d’aller bien loin pour révéler que la mémoire de ces espaces parle aussi des fractures de la société brésilienne.

Si Les Bruits de Recife était pour une large part tourné « à domicile », la démarche ne tenait en rien du repli sur soi. Elle transformait, au contraire, le foyer en poste d’observation sensible de certaines inquiétudes sociétales. Les éléments fondamentaux de l’architecture - portes, fenêtres, couloirs, escaliers, balcons, grilles - plus ou moins ouverts, plus ou moins ajourés - deviennent de purs outils cinématographiques. Ils définissent ainsi des cadres, des espaces, des scènes (à tous les sens du terme). L’image joue sur toute une palette de porosités et de tangences, quand le son fait aussi exister le hors-champ. Rien que le bruit d’une machine à laver ou l’aboiement d’un chien est déjà porteur d’imaginaire.

Dans Aquarius, l’appartement de l’héroïne - le dernier occupé dans l’immeuble - devient un îlot de résistance contre la folie spéculative. Enfin, dans Portraits fantômes, les différentes sources visuelles (archives historiques, films de famille, making-of et extraits des films précédents) créent un vertigineux feuilleté de mémoires historiques et personnelles. Le foyer, la mitoyenneté, la rue et le quartier s’imbriquent alors dans des rapports dynamiques  qui font échos aux tourments de l’histoire et de la société. Son art de l’arpentage sensible - surtout quand il s’attache à des lieux à la limite de l’abandon – révèle des secrets du passé et nous permet surtout de regarder l’histoire de son pays, le Brésil, les yeux dans les yeux. 

Même si le cinéma de Kléber Mendonça Filho ne relève pas strictement du registre fantastique, il n’en est pas moins profondément et précieusement hanté.

Joachim Lepastier

Kleber Mendonça Filho est réalisateur, scénariste, producteur et acteur né à Recife au Brésil. Il devient programmateur et critique de cinéma tout en réalisant des courts métrages qui sont primés. Les Bruits de Recife, son premier long métrage, est dévoilé en avant-première au Festival international du Film de Rotterdam (2012) et représente le Brésil aux Oscars. Le New York Times le classe alors parmi les dix meilleurs films de l’année. Son deuxième long métrage Aquarius, avec Sonia Braga, est en Compétition au 69e Festival de Cannes (2016), avant d’être nommé aux César et aux Independent Spirit Awards. En 2019, Bacurau, qu’il coréalise avec Juliano Dornelles, est en Compétition à Cannes et remporte le Prix du Jury. Kleber Mendonça Filho est également programmateur de films pour l’Instituto Moreira Salles à Rio de Janeiro et São Paulo, ainsi que directeur artistique du Janela Internacional de Cinema do Recife. Il a été membre du jury de la compétition du festival de Cannes en 2021.

Aquarius

Kleber MENDONÇA FILHO
France, Brésil

Les Bruits de Recife

Kleber MENDONÇA FILHO
Brésil

Portraits Fantômes (avant-première)

Kleber MENDONÇA FILHO
Brésil

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