Matthew Porterfield, invité d’honneur
Quelque part entre ville et campagne
Les films de Matt Porterfield se déroulent presque tous dans le quartier de Baltimore (Maryland) où il a grandi, et occupent ainsi une place unique aux États-Unis, tant sur le plan territorial que cinématographique. Ni complètement urbains ni totalement suburbains, ils existent dans une zone grise, quelque part entre les deux. De la même manière, ils occupent une place à part dans le cinéma américain contemporain : ni dans les recettes commerciales d’Hollywood, ni dans les films indépendants à thème de Sundance.
Hamilton, son premier long métrage de 2006, est le nom d’une communauté ouvrière située entre la ville et le comté, entre les quartiers ravagés par la criminalité représentés dans The Wire et l’existence plus bucolique du Sud profond qu’on retrouve chez William Faulkner. Le film suit une mère adolescente à la recherche de l’insaisissable jeune père de son bébé. Minimaliste en termes de narration, Hamilton se concentre sur la description d’une frange particulière de l’Amérique, d’un lieu où les habitants luttent pour survivre et exister dans un espace post-industriel marqué par l’abandon ainsi qu’une certaine beauté.
Alors que la plupart des réalisateurs partent d’une idée ou d’un concept pour le transformer en scénario de long métrage, l’inspiration de Porterfield naît le plus souvent des lieux spécifiques qu’il souhaite filmer. Il y passe beaucoup de temps, prend des notes, des photos et des vidéos, parle aux gens rencontrés dans les bars, les parcs ou la rue. Au bout d’un moment, une histoire émerge.
Son second long métrage, Putty Hill, présenté à la Berlinale en 2011, croise des conversations avec des résidents du quartier éponyme du film – toujours le même, au nord-est de Baltimore – et l’histoire d’un jeune skateur mort par overdose d’héroïne. Nous ne savons jamais s’il s’agit d’une fiction ou d’un documentaire, si nous regardons des acteurs interprétant des personnes réelles ou des individus jouant leur propre rôle. Une fois de plus, nous nous trouvons dans une zone grise, quelque part entre les deux.
La « trilogie de Baltimore » de Porterfield s’achève en 2017 avec Sollers Point. Le scénario est plus classique et les personnages sont interprétés par des acteurs professionnels, mais une fois encore, le film nous emmène dans un coin très spécifique de l’Amérique contemporaine. Tourné quelques mois avant l’élection de Donald Trump en 2016, Sollers Point explore un quartier ouvrier jouxtant le port de Baltimore, où la lente et inexorable disparition du travail ouvrier a laissé place au chômage, à la toxicomanie et à la violence des gangs. Il révèle une communauté et un pays divisés comme jamais auparavant.
Dans une critique de Sollers Point parue dans Le Monde, Mathieu Macheret parlait de « géographie complexe, à la fois urbaine et affective, qui contourne les lieux communs et les passages obligés ». C’est en effet le mot « contourner » qui peut-être résume le mieux le travail de Matthew Porterfield : contournement des décors caractéristiques du cinéma, des méthodes habituelles d’écriture et de réalisation, pour dessiner un paysage cinématographique unique.
Jordan Mintzer, auteur et critique de cinéma pour The Hollywood Reporter, également le producteur d’Hamilton, Putty Hill et Sollers Point.
Matthew PORTERFIELD
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